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Lettre de Victor Hugo aux membres du Congrès pour la Paix, à Lugano (original text in French) - Victor Hugo
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Lettre de Victor Hugo aux membres du Congrès pour la Paix, à Lugano (original text in French) Victor Hugo

Lettre de Victor Hugo aux membres du Congrès pour la Paix, à Lugano (original text in French) - Victor Hugo
20 septembre 1872

Mes compatriotes européens,

Votre sympathique invitation me touche. Je ne puis assister à votre congrès. C'est un regret pour moi ; mais ce que je vous eusse dit, permettez-moi de vous l'écrire.

A l'heure où nous sommes, la guerre vient d'achever un travail sinistre qui remet la civilisation en question. Une haine immense emplit l'avenir. Le moment semble étrange pour parler de la paix. Eh bien ! Jamais ce mot : Paix, n'a pu être plus utilement prononcé qu'aujourd'hui. La paix, c'est l'inévitable but. Le genre humain marche sans cesse vers la paix, même par la guerre. Quant à moi, dès à présent, à travers la vaste animosité régnante, j'entrevois distinctement la fraternité universelle. Les heures fatales sont une claire voie et ne peuvent empêcher le rayon divin de passer à travers elles.

Depuis deux ans, des événements considérables se sont accomplis. La France a eu des aventures ; une heureuse, sa délivrance ; une terrible, son démembrement. Dieu l'a traitée à la fois par le bonheur et par le malheur. Procédé de guérison efficace, mais inexorable. L'empire de moins, c'est le triomphe ; l'Alsace et la Lorraine de moins, c'est la catastrophe. Il y a là on ne sait quel mélange de redressement et d'abaissement. On se sent fier d'être libre, et humilié d'être moindre. Telle est aujourd'hui la situation de la France qu'il faut qu'elle reste libre et redevienne grande. Le contrecoup de notre destinée atteindra la civilisation tout entière, car ce qui arrive à la France arrive au monde. De là une anxiété générale, de là une attente immense ; de là, devant tous les peuples, l'inconnu.

On s'effraie de cet inconnu. Eh bien, je dis qu'on s'effraie à tort.

Loin de craindre, il faut espérer.

Pourquoi ?

La France, je viens de le dire, a été délivrée et démembrée. Son démembrement a rompu l'équilibre européen, sa délivrance a fondé la République.

Effrayante fracture à l'Europe ; mais avec la fracture le remède.

Je m'explique.

L'équilibre rompu d'un continent ne peut se reformer que par une transformation. Cette transformation peut se faire en avant ou en arrière, dans le mal ou dans le bien, par le retour aux ténèbres ou par l'entrée dans l'aurore. Le dilemme suprême est posé. Désormais, il n'y a plus de possible pour l'Europe que deux avenirs : devenir Allemagne ou France, je veux dire être un empire ou être une république.

C'est ce que le solitaire fatal de Sainte-Hélène avait prédit, avec une précision étrange, il y a cinquante-deux ans, sans se douter qu'il serait l'instrument indirect de cette transformation, et qu'il y aurait un Deux-Décembre pour aggraver le Dix-Huit-Brumaire, un Sedan pour dépasser Waterloo, et un Napoléon le Petit pour détruire Napoléon le Grand.
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