[NGF] Disiz au théâtre, Orelsan au cinéma : du rap à la comédie, n’y aurait-il qu’un pas ? Lyrxo France [Archives]
Après un passage réussi en littérature, Disiz a interprété le rôle d’Othello dans la pièce « Les amours vulnérables de Desdémone et Othello » adaptée de l’œuvre de Shakespeare et mise en scène par Razerka Ben-Sadia Lavant au théâtre des Amandiers de Nanterre du 14 au 29 septembre 2013. Ce n’est néanmoins pas la première fois que l’on a vu Disiz en tant qu’acteur, puisqu’en 2004 déjà, il décrochait le 1e rôle du film « Dans tes rêves » de Denis Thybaud.
Il n’est pas le seul rappeur à fouler les planches du théâtre, à l’instar de D’ de Kabal qui est à l’initiative de plusieurs projets mêlant art musical et théâtral, loin des stéréotypes des rappeurs-acteurs existants tels que Joey Starr ou Stomy Bugsy. Du côté du 7e art, Orelsan jouera pour la première fois dans un long métrage de Danielle Arbid « Faire connaissance avec la France ». Les exemples sont nombreux. Je me suis alors interrogée sur les raisons qui poussent les rappeurs à devenir comédiens. En effet, le cinéma et le théâtre représentent des domaines souvent choisis par ceux-ci pour diversifier voire changer leurs activités, et ce pas seulement en France. Cette volonté d’étendre leurs activités à la comédie est surprenante pour certains, évidente pour d’autre, à l’instar de Zoxea qui exprime explicitement son désir de passer du rap au 7e art dans le titre « Showtime » : « Après le rap, le cinéma. Un jour je monterai les marches. ».
Rappeur et acteur, mais des activités qui n’en restent pas moins communes
Quitte à avoir une réponse à ma question, autant la poser directement. Et c’est dans un premier temps à Escobar Macson alias Mr Punchlines ou l’Animal que je m’adresse. Il est selon moi la personne la plus apte à me répondre, puisque son interprétation du personnage de Koffi dans le film « Karma » réalisé par le rappeur Dosseh a reçu une critique très positive de la part des professionnels du cinéma. Pour lui, accepter un premier rôle au cinéma « c’était le challenge, le moyen aussi de montrer aux « autres » que je ne suis pas une de ces nombreuses caricatures et que le rap n’est pas la seule corde à mon arc. De plus, le personnage de Koffi me ressemblait, non pas par ses « activités », mais plutôt par son tempérament et sa force de caractère. ». Après avoir échangé à ce sujet avec le sociologue Karim Hammou, ce dernier me fait remarquer que certaines activités du rappeur coïncident avec d’autres, proches de celles de l’acteur. Dans le cas du rappeur, ces tâches ne consistent pas uniquement à rapper et vont au-delà d’après Karim Hammou : « incarner un personnage (fut-ce le sien propre, pour les artistes les plus intransigeants quant au « droit à la fiction »), nouer un rapport de séduction avec le public, travailler son image, faire preuve d’expressivité… ».
La comédie : un moyen de se maintenir durablement dans le milieu artistique
Lorsque je demande à Escobar pour quelles raisons, d’après lui, de plus en plus de rappeurs s’investissent dans le 7e art, sa réponse est subjective : « (…) pour ma part, étant donné le créneau dans lequel j’opère dans le rap et ayant des enfants en bas âge, je ne pourrais pas exercer indéfiniment ce “métier”. C’est également une question d’âge, il arrivera un jour où je ne serais plus en adéquation avec mes textes et la réalité de ma vie. Je rappe ce que je vis, ce que je vivais et parfois la vie de certains de mes amis mais j’ai choisi de ne jamais faire de fiction… Contrairement au cinéma qui offre plus de possibilités. Ce serait une belle reconversion et un moyen de toucher beaucoup plus de gens. ». Comme le fait remarquer Karim Hammou, il est incertain de se maintenir de manière durable dans le milieu artistique professionnel. Passer du rap à la comédie permettrait ainsi à ces artistes d’étendre leur champ de compétences en approfondissant leur connaissance du fonctionnement des industries culturelles. D’ailleurs, Hammou conclue sa réflexion par cette interrogation : « et puis un clip, qu’est-ce sinon un court métrage ? ».
Les clips, détecteurs de talent de comédien ?
Cette question m’a amené à interroger le réalisateur Johann Keezy Dorlipo qui a dirigé Disiz sur la plupart des clips vidéo des titres présents sur ses 2 derniers projets « Lucide » et « Extra-Lucide ». Est-il facile de repérer le talent d’acteur chez certains rappeurs au travers des clips ? « Je n’arrive pas forcément à voir quand l’un des rappeurs que je clippe est bon acteur, me répond-il. En revanche, s’il est extrêmement nul, je m’en aperçois très vite. Selon moi, être un bon comédien, ce n’est pas seulement être crédible devant la caméra, c’est aussi être efficace de manière à capitaliser le temps de tournage. ». Escobar Macson complète « Certains dans ce milieu pensent qu’un film se monte comme un clip vidéo mais ont, je pense, appris à leur dépens que cela demande un travail bien plus conséquent ». A ce propos, Keezy affirme : « je ne pense pas que le rappeur ait plus de facilité qu’une personne lambda à jouer la comédie. Le seul avantage, c’est l’habitude face à la caméra. Je ne vais pas faire l’hypocrite, quand je vois dans le rap français des passages dans les clips où ils (NDLR : les rappeurs) essaient de jouer la comédie, je trouve ça généralement nul. (…) On a l’impression qu’ils n’assument pas de jouer sauf si c’est pour faire les mecs « ghetto ». » Escobar ajoute « (…) pour moi, le métier d’acteur demeure dans la capacité à intégrer une multitude de personnages et non toujours être sollicité pour le même type de rôle ». Et si finalement, ce qui pousse les acteurs à jouer la comédie ne serait pas une quête d’authenticité ?
Une démarche visant l’authenticité et la sincérité
Rappelons-nous des paroles de Fabe dans «Des durs, des boss… des dombis!» : « Entré dans le rap, je pensais pouvoir y trouver la paix / Un apport, la sécurité, la sincérité,/ Des frères sincères qui opèrent en quête de vérité / Des types authentiques mais pas ceux qu’on trouve à la télé / Pas des acteurs, des auteurs, des interprètes / Mais l’interprétation que je me fais du son / Je te jure qu’elle prête à confusion /Devant moi c’est l’effusion de rimes bidons (…) ». Ce texte reflète parfaitement l’aspect primordial de l’authenticité et de la sincérité dans le rap. Etre authentique et sincère revient pour un artiste quel qu’il soit à être cohérent dans sa démarche, ce qui est aujourd’hui difficile face à l’industrie musicale. L’authenticité d’un rappeur se représente à travers l’adéquation entre son discours, ses convictions, et ses actes. D’où l’importance pour les rappeurs de la justesse dans l’interprétation et dans le ton.
Là encore, la notion d’interprétation est également commune à l’activité de l’acteur. Ce qui est vrai dans la musique l’est également pour la comédie, domaine où la sanction du public est immédiate en cas d’interprétation jugée fausse. Que ce soit dans le rap ou dans n’importe quel autre domaine artistique, la sensibilité et la sincérité priment. Ce sont d’ailleurs deux dimensions que Johann Keezy Dorlipo juge fondamentales : « C’est Disiz qui m’a lancé dans la réalisation, et c’est lui qui stimule ma sensibilité et ma vision des choses, de manière à ce que machinalement, je parvienne à créer ne serait-ce que pendant une seconde quelque chose de touchant et de cinématographique. Donc si un jour, je dois sortir un film, je veux que ce soit avec lui en premier. ».
Affaire à suivre donc…
Merci à Escobar Macson, Johann Keezy Dorlipo, et Karim Hammou d’avoir contribué à l’écriture de cet article.
“Karma” de Dosseh est disponible sur YouTube.
Retrouvez les billets de Karim Hammou sur son blog: “Sur un son rap”.
“Une histoire du rap en France” est toujours disponible en librairie.
Retrouvez l’ensemble des réalisations vidéos de Johann Keezy Dorlipo ici
Ses photos sont également à découvrir sur son blog.
Il n’est pas le seul rappeur à fouler les planches du théâtre, à l’instar de D’ de Kabal qui est à l’initiative de plusieurs projets mêlant art musical et théâtral, loin des stéréotypes des rappeurs-acteurs existants tels que Joey Starr ou Stomy Bugsy. Du côté du 7e art, Orelsan jouera pour la première fois dans un long métrage de Danielle Arbid « Faire connaissance avec la France ». Les exemples sont nombreux. Je me suis alors interrogée sur les raisons qui poussent les rappeurs à devenir comédiens. En effet, le cinéma et le théâtre représentent des domaines souvent choisis par ceux-ci pour diversifier voire changer leurs activités, et ce pas seulement en France. Cette volonté d’étendre leurs activités à la comédie est surprenante pour certains, évidente pour d’autre, à l’instar de Zoxea qui exprime explicitement son désir de passer du rap au 7e art dans le titre « Showtime » : « Après le rap, le cinéma. Un jour je monterai les marches. ».
Rappeur et acteur, mais des activités qui n’en restent pas moins communes
Quitte à avoir une réponse à ma question, autant la poser directement. Et c’est dans un premier temps à Escobar Macson alias Mr Punchlines ou l’Animal que je m’adresse. Il est selon moi la personne la plus apte à me répondre, puisque son interprétation du personnage de Koffi dans le film « Karma » réalisé par le rappeur Dosseh a reçu une critique très positive de la part des professionnels du cinéma. Pour lui, accepter un premier rôle au cinéma « c’était le challenge, le moyen aussi de montrer aux « autres » que je ne suis pas une de ces nombreuses caricatures et que le rap n’est pas la seule corde à mon arc. De plus, le personnage de Koffi me ressemblait, non pas par ses « activités », mais plutôt par son tempérament et sa force de caractère. ». Après avoir échangé à ce sujet avec le sociologue Karim Hammou, ce dernier me fait remarquer que certaines activités du rappeur coïncident avec d’autres, proches de celles de l’acteur. Dans le cas du rappeur, ces tâches ne consistent pas uniquement à rapper et vont au-delà d’après Karim Hammou : « incarner un personnage (fut-ce le sien propre, pour les artistes les plus intransigeants quant au « droit à la fiction »), nouer un rapport de séduction avec le public, travailler son image, faire preuve d’expressivité… ».
La comédie : un moyen de se maintenir durablement dans le milieu artistique
Lorsque je demande à Escobar pour quelles raisons, d’après lui, de plus en plus de rappeurs s’investissent dans le 7e art, sa réponse est subjective : « (…) pour ma part, étant donné le créneau dans lequel j’opère dans le rap et ayant des enfants en bas âge, je ne pourrais pas exercer indéfiniment ce “métier”. C’est également une question d’âge, il arrivera un jour où je ne serais plus en adéquation avec mes textes et la réalité de ma vie. Je rappe ce que je vis, ce que je vivais et parfois la vie de certains de mes amis mais j’ai choisi de ne jamais faire de fiction… Contrairement au cinéma qui offre plus de possibilités. Ce serait une belle reconversion et un moyen de toucher beaucoup plus de gens. ». Comme le fait remarquer Karim Hammou, il est incertain de se maintenir de manière durable dans le milieu artistique professionnel. Passer du rap à la comédie permettrait ainsi à ces artistes d’étendre leur champ de compétences en approfondissant leur connaissance du fonctionnement des industries culturelles. D’ailleurs, Hammou conclue sa réflexion par cette interrogation : « et puis un clip, qu’est-ce sinon un court métrage ? ».
Les clips, détecteurs de talent de comédien ?
Cette question m’a amené à interroger le réalisateur Johann Keezy Dorlipo qui a dirigé Disiz sur la plupart des clips vidéo des titres présents sur ses 2 derniers projets « Lucide » et « Extra-Lucide ». Est-il facile de repérer le talent d’acteur chez certains rappeurs au travers des clips ? « Je n’arrive pas forcément à voir quand l’un des rappeurs que je clippe est bon acteur, me répond-il. En revanche, s’il est extrêmement nul, je m’en aperçois très vite. Selon moi, être un bon comédien, ce n’est pas seulement être crédible devant la caméra, c’est aussi être efficace de manière à capitaliser le temps de tournage. ». Escobar Macson complète « Certains dans ce milieu pensent qu’un film se monte comme un clip vidéo mais ont, je pense, appris à leur dépens que cela demande un travail bien plus conséquent ». A ce propos, Keezy affirme : « je ne pense pas que le rappeur ait plus de facilité qu’une personne lambda à jouer la comédie. Le seul avantage, c’est l’habitude face à la caméra. Je ne vais pas faire l’hypocrite, quand je vois dans le rap français des passages dans les clips où ils (NDLR : les rappeurs) essaient de jouer la comédie, je trouve ça généralement nul. (…) On a l’impression qu’ils n’assument pas de jouer sauf si c’est pour faire les mecs « ghetto ». » Escobar ajoute « (…) pour moi, le métier d’acteur demeure dans la capacité à intégrer une multitude de personnages et non toujours être sollicité pour le même type de rôle ». Et si finalement, ce qui pousse les acteurs à jouer la comédie ne serait pas une quête d’authenticité ?
Une démarche visant l’authenticité et la sincérité
Rappelons-nous des paroles de Fabe dans «Des durs, des boss… des dombis!» : « Entré dans le rap, je pensais pouvoir y trouver la paix / Un apport, la sécurité, la sincérité,/ Des frères sincères qui opèrent en quête de vérité / Des types authentiques mais pas ceux qu’on trouve à la télé / Pas des acteurs, des auteurs, des interprètes / Mais l’interprétation que je me fais du son / Je te jure qu’elle prête à confusion /Devant moi c’est l’effusion de rimes bidons (…) ». Ce texte reflète parfaitement l’aspect primordial de l’authenticité et de la sincérité dans le rap. Etre authentique et sincère revient pour un artiste quel qu’il soit à être cohérent dans sa démarche, ce qui est aujourd’hui difficile face à l’industrie musicale. L’authenticité d’un rappeur se représente à travers l’adéquation entre son discours, ses convictions, et ses actes. D’où l’importance pour les rappeurs de la justesse dans l’interprétation et dans le ton.
Là encore, la notion d’interprétation est également commune à l’activité de l’acteur. Ce qui est vrai dans la musique l’est également pour la comédie, domaine où la sanction du public est immédiate en cas d’interprétation jugée fausse. Que ce soit dans le rap ou dans n’importe quel autre domaine artistique, la sensibilité et la sincérité priment. Ce sont d’ailleurs deux dimensions que Johann Keezy Dorlipo juge fondamentales : « C’est Disiz qui m’a lancé dans la réalisation, et c’est lui qui stimule ma sensibilité et ma vision des choses, de manière à ce que machinalement, je parvienne à créer ne serait-ce que pendant une seconde quelque chose de touchant et de cinématographique. Donc si un jour, je dois sortir un film, je veux que ce soit avec lui en premier. ».
Affaire à suivre donc…
Merci à Escobar Macson, Johann Keezy Dorlipo, et Karim Hammou d’avoir contribué à l’écriture de cet article.
“Karma” de Dosseh est disponible sur YouTube.
Retrouvez les billets de Karim Hammou sur son blog: “Sur un son rap”.
“Une histoire du rap en France” est toujours disponible en librairie.
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Ses photos sont également à découvrir sur son blog.
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